Hopeland, éco-communauté éducative en Grèce

4/20/20235 min read

Au mois de mars, cap vers la Grèce. Quelques hésitations sur notre voyage : allons-nous faire du pouce ou bien être entassé.e.s dans un Flixbus ? Oubliez-cela, nous y allons tels des personnages homériques par bateau. Si le progrès a largement simplifié ce voyage, nous pouvons tout de même l’appeler une épopée : un blablacar et une nuit à Turin, un train jusqu’à Brindisi, une nuit dans un ferry jusqu’à Patras, de là une tentative de stop ratée, un bus, finalement pour Corinthe. De là, nous sommes conduit.e.s à Hopeland, une “éco-communauté” d’éducation ancrée dans le Péloponnèse, proche de Mycènes, une des cités majeures de la civilisation mycénienne.

Créée par Erato, une femme Grecque, Hopeland avait à l’origine pour but de donner la possibilité à des familles de trouver refuge hors des villes. En tant que psychologue familiale, elle assistait au développement de modèles de reproduction malsains et à “l’incapacité des éducations en ville à inspirer amour et apprentissage”. Elle choisit alors ces trois hectares pour leurs oliviers centenaires, leurs amandiers et avant tout pour leur fameux chêne vieux de quatre siècles « the oak tree », devenu l’emblème du lieu. Géré par une coopérative, Hopeland cherchait dès ses balbutiements, à développer sur ce lieu des actions liées à l’environnement, la culture et au développement personnel, tout en cherchant à devenir un modèle d’autosuffisance et de soutenabilité.

C’est dix années après la création du lieu, que nous déposons nos bagages. En surfant sur Workaway, nous avions d’abord proposé à Hopeland d’être volontaire durant trois semaines. Les hopelanders nous ont alors proposé de participer d’une autre façon : à travers un projet d’un mois accueillant quinze jeunes européen.ne.s, nommé « Eyes Wide Open ». L’idée de ce projet est de créer une communauté autour du projet écologique de Hopeland : travail manuel, lien avec le territoire et possibilité de laisser sa trace sur le lieu. Nous ne tombons toutefois pas dans le piège de la naïveté : selon nous, rester accès sur l'accueil de jeunes européen.ne.s pousse à l’hypermobilité et ne répond pas aux besoins de la communauté locale, l’attention aux arrivant.e.s limitant la création et le soin de véritable liens avec les habitant.e.s autour. Les engagements écologiques d’Hopeland se traduisent toutefois de manière concrète. En termes de production agricole, les techniques de la permaculture ont rapidement été adoptées. Par ailleurs, une alimentation végétarienne est de mise. Quant à l'énergie, les bâtiments sont alimentés par l’électricité solaire. Erasmus +, plus précisément le “Corps européen de solidarité” finance ce projet. Notre voyage aller-retour est donc remboursé et nous avons de l’argent de poche, cinq euros par jour. À mesure que le projet prend forme, nous découvrons un monde presque underground d'engagements au sein de projets de solidarité financés par Erasmus +, sur lesquels nous nous sommes promis d’ajouter davantage d’informations dans la rubrique ressources utiles. C’est grâce à Erasmus + que Hopeland fonctionne et finance les projets qui y ont lieu. Une partie des personnes qui travaillent dans la coopérative sont salariées. On comprend donc que l'agriculture sur place n'a pas le rôle d'agriculture de subsistance mais plus éducative. Iels accueillent aussi des woofeurs.euses et workawayers de passage, qui doivent payer 5 euros par jour.

En résumé, on a eu l’impression de vivre un mois de fun et de légèreté, entouré.e.s de jeunes adultes écolos en soif de collectif. Un mois durant lequel 18 personnes de 18 à 30 anss vivent ensemble, accueillies par les membres de la communauté, pour vivre une expérience collective, prendre soin d’un lieu, le faire évoluer, le faire vivre et apprendre ensemble. Souvenirs de colonies de vacances…

Chaque lundi, réunion près de l’oak-tree : la répartition des tâches collectives pour la semaine a lieu, à mains levées. Des binômes et trinômes sont créés. Iels cuisinent pour le collectif, arrosent le jardin, nettoient les espaces communs, prennent soin et nourrissent chiens, chats et poules. Les vendredis après-midi sont consacrés à un temps émotionnel et de réflexion sur notre travail de la semaine. Les week-ends sont libres, l’occasion de dépenser notre argent de poche dans les spécialités locales : ouzo, baklava, feta.

La première semaine, nous nous rencontrons. Des ateliers de rencontres délient les langues et les esprits. Puis nous travaillons. Notre tâche : monter le « village-tipis » dans lequel nous dormons; deux jours de constructions collectives pour ces habitats légers qui accueillent différents groupes Erasmus+ sur toute la saison estivale. Nous nous relayons aussi pour tamiser du fumier de cheval pendant des heures, qui servira comme matériel d’éco construction. Mélangé avec une base de béchamel (farine et eau bouillie), de l’argile et du sable, cette préparation hardi permet de finir le sol du « Round building », bâtiment dédié à la communauté, totalement éco-construit.

Ensuite, la deuxième semaine s’organise autour de la venue de Steven et Chenny, un couple de permaculteurs qui a créé un projet de ferme à quelques heures de Hopeland. Iels sont incollables sur chaque plante, chaque arbre et chaque « mauvaise herbe ». On se rend très vite compte à quel point de nombreuses herbes sont arrachées sans scrupule alors qu’elles sont en fait délicieuses à la casserole. Steven et Chenny sont nos guides dans le chantier collectif d’agrandissement du potager. En deux journées, sept surfaces potagères prennent vie. On y plante tomates, fèves, poivrons, laitues, haricots, oignons, calendula et fraises. Entre composition des sols, importance des surfaces planes pour une absorption de l’eau de pluie plus efficace, design permacole et apprentissages sur les utilisations alimentaires et sanitaires de dizaines de plantes, le travail manuel et le travail intellectuel se mélangent et se nourrissent. Le soir, nous discutons ensemble de possibles associations de cultures qui permettent à certaines plantes de s’entraider. Par exemple, les fameuses trois sœurs: maïs, haricots et courges sont de bonnes compagnonnes : le maïs sert de support au haricot, qui a la capacité de fixer l’azote dans l’air pour le restituer au sol et le potiron garde le sol frais grâce à ses grandes feuilles. La puissance du collectif à ce moment-là est impressionnante : tous ces corps actifs et mouvants donnent tant d’énergie que l'on les croirait capables de transporter des brouettes remplies de pierres pendant des heures (et c’est chose faite).

Les troisième et quatrième semaines sont consacrées aux “projets créatifs”, où chacun.e.s est libre de proposer puis s’organiser pour réaliser un projet, seul.e.s ou en groupe, en lien avec les valeurs de Hopeland. L’idée est de “marquer et ancrer” son passage et participer à l’amélioration du terrain : construction de structures manquantes, développement des liens avec le territoire, projet artistique… Un groupe de meufs construisent, depuis les mesures et les plans jusqu’au vernissage et l'assemblage, une “queer shelf” - elle n’est pas straight - en bois de 3m10 sur 2m80 pour la salle à manger commune. D’autres ont fait l’inventaire des plantes du territoire pour en faire un herbier, en précisant leurs usages. Une personne s’est organisée pour rencontrer les producteur.rice.s du territoire local, et apprendre avec elleux à produire de la féta et du mizithra (fromages traditionnels grecs), des koulouri (pains au sésame) et des melitzanes me saltsa (aubergines sauce tomates) pour ensuite organiser un grand apéritif grec. Yiamas! À la fin de la dernière semaine, nous avons même couru le semi-marathon de Mycènes à Argos, avec un stand de l’association derrière la ligne d’arrivée !

Ce projet gagnerait selon nous à politiser davantage les conversations, les apprentissages et les gestes quotidiens. Il nous semble dangereux d’omettre tout un pan de l’écologie : ses significations politiques, l’historique de ses luttes et la gravité de l’écocide en cours au profit d’une compréhension plus individualiste de l’écologie à laquelle pousse le développement personnel.