La Surera, espace de rencontres rural à Almedíjar en Espagne

2/25/20237 min leer

De retour sur la route au mois de janvier, nous mettons le cap vers l’Espagne et rejoignons un chantier participatif d’un mois à La Surera, une coopérative à but non lucratif, une auberge, un « espace de rencontre rural » et bien plus encore, à Almedíjar, un village proche de Valence.

En arrivant, une belle équipe nous fait visiter Almedíjar, le “lieu où l’on se rencontre” en arabe et nous montre au loin la montagne protectrice de la vallée, « el teta ». C'est une montagne en forme de téton. D’emblée nous pensons : nous sommes sur une terre fertile pour notre projet. Nous pénétrons ensuite dans l’enceinte de la coopérative : un grand bâtiment blanc à la cour chaleureuse au milieu, auberge dans laquelle l’accueil des “éco-touristes” et groupes se fait normalement. L’activité d’accueil de public lié à l’auberge est mise en pause le temps de notre passage, car le lieu fait peau neuve. Durant deux mois - un mois et une semaine pour notre part -, les membres et volontaires s’activent : peinture, construction, rénovation. C’est le programme de nos matinées, cinq jours par semaine.

Les membres de la Surera n’y vivent pas car ce lieu n’a pas pour destination la vie sur le long terme ou en communauté : il s’agit d’un lieu d’accueil, de partage et de travail, ce qui constitue une différence majeure avec les lieux dans lesquels nous nous sommes rendus précédemment. Arrivé.e.s à des moments différents, iels ont tous.tes un projet de développement pour la Surera : Elena propose des balades botaniques pour les enfants des écoles alentours et pour les randonneur.euses de passage, fait de la médiation de groupe ; Vale travaille au développement des activités culturelles et artistiques sur les lieux; Gustave fait du conseil en transition et en démocratie participative dans les communes proches , cela à côté de ses activités sur le site ; Guillo entend cultiver des champignons dans la cave - qui serviront à la cantine collective; Ana démarre la construction d’un atelier de céramique. Cette liste n'est pas exhaustive car les activités s’entremêlent et le travail des membres ne se limite pas à leur projet car ils s'entraident.

À mesure que le temps passe, on s’habitue à déjeuner à 15 heures. Emile, dont les notions d’espagnol se limitait à quelques cours de l’application Duolingo, n’a plus besoin de sa chère traductrice Agathe et on comprend l’ampleur du projet de La Surera : ce n’est pas uniquement une auberge mais un lieu en lien avec son territoire où de nombreuses activités cohabitent et se nourrissent entre elles.

Au fond de la cour, dans l’atelier de charpenterie, se trouve Juan vi. Artisan luthier autodidacte, il travaille les bois d'amandiers et cerisiers pour créer des flûtes, qu’il vend. Son activité garde son rythme pendant notre séjour, pour le plaisir de nos oreilles. Dans ce même atelier, chacun.e peut mener ses projets car les outils sont mis en commun : rénover une étagère, créer un abat-jour en chêne liège, poncer, percer couper, scier, etc. Le chêne liège a une place particulièrement importante à La Surera car les environs sont peuplés de ces arbres. Historiquement, le travail du liège est une des activités importantes dans la région. Mis à part les abat-jours, nous construisons aussi des panneaux en liège. Ceux-ci, suspendus dans la salle à manger, ont des vertues isolantes. On les retrouve dans notre salle préférée, “l’espacio sonoro”: une salle parfaitement isolée et tapissée de liège, des murs au sol jusqu’à la lampe-soleil, dédiée à la production musicale, aux concerts et aux jams sessions.

Une grande salle, au premier étage, est destinée au sport. Des cours de Yoga sont organisés par Sara trois fois par semaine et rassemblent, à chaque fois, une quinzaine de personnes venues du village et des alentours. Juste à côté, l’atelier de Vale, artiste d’origine colombienne ayant intégré la coopérative en 2020. Sa création s’appuie sur différents papiers et pigments à base de matières naturelles et recyclées. Ses combats féministes, décoloniaux et antiracistes se retranscrivent dans son travail. Fortement impliquée dans La Surera, elle participe activement à la rénovation du bâtiment. Elle travaille également beaucoup sur les réseaux sociaux, la culture à la Surera et sur le développement des liens avec le territoire. Avec les membres de la coopérative, elle a développé des programmes d’accueil de résidences d’artistes en lien avec les valeurs du lieu et liées à l’environnement, financés par des organisations régionales. En tant que femme migrante et mère célibataire, elle nous explique les enjeux de l’inclusion des minorités dans ces programmes. De manière générale, peu de résidences d’artistes sont en effet accessibles pour un.e artiste pauvre ou ayant une famille à sa charge, c’est donc ce changement qu’elle souhaite créer, en créant les conditions matérielles à l’inclusion des femmes minorisées. Dans le cadre d’un master, elle a aussi pour projet de faire revivre le musée du village d’Almedijar, qui, à l’origine, a pour but de présenter les savoirs-faire locaux dont le travail du liège et de l’olive. Laissé à l’abandon, il a perdu son potentiel de lieu commun et reste pour la plupart du temps fermé. Vale a organisé un événement de concertation ouvert aux habitant.e.s du village au sein de ce dernier pour décider ensemble du futur du musée en fonction des besoins et souhaits de chacun.e. Cet évènement a fait discuter toutes les générations allant du doyen du village aux plus jeunes qui aimeraient faire du musée une bibliothèque collective et une salle de karaoké; mélangeant, en lieu neutre, les “néo” et les “autochtones” du village. L'accueil de projets Erasmus +, qui vient d’être mis en place à La Surera et qui prévoit des échanges entre jeunes artistes italiens et espagnols, participe aussi à la redynamisation du territoire par la culture et à l’ouverture à l’international de la coopérative. Au long de l’année, des rencontres, ateliers et stages sur divers sujets ont également lieu à la Surera : on assiste par exemple à la rencontre annuelle d’une coopérative d'agriculteur.ice.s et à une journée d’atelier sur la création de produits cosmétiques à partir des plantes locales.

Mais ces liens avec le territoire ne s'arrêtent pas à cela et s’étendent aussi à l’agriculture. Plus bas dans le village, les membres de La Surera cultivent olive, légumes et fruits. Le système d’irrigation des terres date de l’époque des Maures (les musulmans ayant régné en Espagne) et fonctionne en coordination avec les habitant.e.s du village qui y ont leur terre. Chaque samedi matin (et davantage en été), une personne désignée va ouvrir les vannes de la bassine à récupération d’eau au bas du village. Il est intéressant d’assister à la coopération qui s'opère grâce à ce système d’irrigation élaboré: Par Whatsapp ou des hurlements : “abierto el agua”, les voisin.e.s se coordonnent pour ouvrir puis fermer les panneaux de pierres qui guident le circuit de l’eau à travers les rigoles.

Plus haut, entre les oliviers, niche un poulailler. Un planning sur le mois est prévu entre les associés et proches de la Surera pour nourrir les poules avec les déchets de la Surera et ramasser les œufs, qui serviront dans la cuisine de l’auberge.

L’association Almedijar Vive, créée à l’initiative des membres de La Surera mais qui touche aujourd'hui beaucoup d’habitant.e.s du village, porte le projet de redynamisation de ce village qui comptait au début du 20ème siècle jusqu’à mille habitants- et qui il y a peu, avec l’urbanisation, la désertification des milieux ruraux, et la fuite de nombreuses personnes au cours de la dictature franquiste, n’en comptait plus qu’une centaine. Les effets des activités de l’association sont déjà là : le nombre d'habitants a augmenté, de cent à cent-cinquante personnes, et l’école du village a rouvert.

Toutes ces activités font de la Surera un lieu important dans ce village. L’objectif qui était d’en faire lieu vivant autour et au sein duquel une forte communauté vit est atteint. Des difficultés existent cependant. D’abord, le modèle de coopérative implique beaucoup de travail humain car la prise de décision horizontale est plus longue. Sandra et Elie, formées à la facilitation de groupe, ont ce rôle d’animation des réunions. Ensuite, l’intégration de ce projet dans le territoire n’est pas facile dans un village dont la culture s’oppose parfois aux valeurs des associé.e.s. En effet, à Almedijar, la culture de la chasse est forte et le village organise des fêtes impliquant des taureaux, pratiques dont on a assisté à la maltraitance animale, auxquelles les membres de La Surera n’assistent pas mais ne s’opposent pas frontalement non plus. Certain.e.s habitant.e.s du village, considèrent cette absence comme un manque de volonté d’intégration du village. L'enjeu y est donc de créer une nouvelle culture commune, prenant les en compte les problématiques liées la crise écologique, tout en s'intégrant dans le tissu local.

Pour finir, remontons un peu dans le passé pour comprendre comment La Surera en est-elle arrivée là. Cette auberge fut reprise en location en 2016 par Greg, un Français aux rêves anarchistes et ses ami.e.s qui décidèrent d’en faire un lieu dans lequel iels pouvaient défendre leurs convictions : la nécessaire reprise des terres et ré-investigation des territoires ruraux et la construiction de véritables alternatives communes. Dans la continuité de leurs idées, c’est sous la forme d’une coopérative à but non lucratif que le projet s’organisa. Iels avaient alors pour objectif de s’installer dans le monde rural, de participer à sa vie collective et sa dynamisation en agissant de manière locale, échelle de travail la plus cohérente à leurs yeux. Comme Greg nous l’expliquait, les débuts furent difficiles car l’accueil (sous la forme de tourisme durable) par l’auberge, l’activité principale du lieu, les occupa beaucoup, elleux qui n’avaient jamais travaillé dans l'hôtellerie auparavant, ce travail limitait les possibilités de développement. Cette activité était pourtant cruciale car elle devait permettre de financer les charges du lieu - qui était loué - ainsi que la rémunération des membres de la coopérative. Malgré ces difficultés, se mirent en place la production de fruits et légumes et les activités culturelles en lien avec le tissu local : concert, invitation d’artistes, etc. Au moment de la crise Covid-19, l’activité de l’auberge était mise en difficulté mais la visibilité de celle-ci, dans laquelle un reportage avait été tourné au moment de la présence d’une compagnie de Cirque, amena de nouvelles personnes souhaitant vivre dans le monde rural et s’intégrer dans le projet. C’est à partir de ce moment, au milieu de l’année 2020, qu’une nouvelle dynamique s'installa dans La Surera. Si des fondateur.rice.s, Greg est le dernier restant, les nouveaux et nouvelles arrivant.e.s sont très motivé.e.s, apportent un souffle collectif nouveau et travaillent sur la diversification des activités : celles dont nous avons parlé précédemment !