Faut-il ré ensauvager la ville?

Article écrit par Rosalie Moreau, dans le cadre d'un stage dans une agence de socio-urbanisme, au sein de la structure L'Usage des Lieux à Toulouse

12/3/202217 min read

Introduction :

Au vu de la double crise environnementale que nous traversons, articulant réchauffement climatique et effondrement de la biodiversité, le terme « ré ensauvagement » est de plus en plus utilisé par les naturalistes et les philosophes européens. Il faudrait, selon eux, renouer avec une vision holistique de notre environnement : « bien loin d’une vision anthropocentrée qui considère l’eau, la forêt, l’atmosphère et les animaux comme étant au service de l’homme » (Cécile Bes, 2010).

Selon Philippe Descola, il faudrait voir le vivant de façon plus holistique en repensant nos interdépendances avec les autres espèces, réel enjeu pour les gestionnaires et aménageurs des espaces naturels. Pour lui, l’objectif de protection n’est pas judicieux (on ne peut protéger que ce que l’on possède !) et ne changerait pas en profondeur la vision d’une nature comme espace/ressource.

Comment cela se traduit-il dans les réflexions sur l’urbain ? Comment articuler nature sauvage et aménagement ?

PROVENANCE DE LA NOTION D’ENSAUVAGEMENT :

Le « ré ensauvagement » dont on parle aujourd’hui fait référence au mouvement de la « wilderness » du XIX siècle regroupant des chercheurs tels que Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson ou John Muir, lesquels ont popularisé le terme wilderness et condamnent (comme P. Descola) le dualisme nature/culture. Wilderness peut se traduire par « état sauvage », ou plus spécifiquement la « nature sauvage », un territoire désert, isolé, inhabité d’humains. Pour les biologistes/penseurs/écrivains précédemment cités, c’est par la confrontation de l’individu solitaire avec les paysages (comme la nature sauvage, parfois romantisée, qu’on retrouve dans les textes de Thoreau et Muir) que l’être humain va développer une attitude de respect vis-à-vis du vivant.

Plus concrètement, les écrits et l’action militante de John Muir ont contribué à la création du parc national de Yosemite, en Californie, en 1890, un des premiers parcs naturels nationaux où beaucoup de pratiques sont interdites. Par la suite, de nombreux parcs ont été créés pour préserver le vivant. Il est nécessaire de préciser que la création de vastes parcs comme il a été fait en Amérique du Nord correspond à une vision particulière de la préservation de l’environnement. Le mouvement de wilderness a vivement été critiqué car la création des ces parcs aux pratiques normées a poussé certaines populations autochtones, vivant en symbiose avec la nature, et qui habitaient sur place depuis toujours, à se déplacer ou à disparaitre. Aujourd’hui, le terme wilderness sert avant tout d’inspiration conceptuelle et philosophique.

POURQUOI LA « SAUVAGETÉ » EST-ELLE ESSENTIELLE A L’ÊTRE HUMAIN ?

Le terme « sauvageté » - supprimé dans les dictionnaires contemporains - désigne le « caractère singulier de chacun, pas encore aliéné par la civilisation toute corsetée de principes » selon Thierry Paquot. En effet, Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson et John Muir - inspirés par Jean-Jacques Rousseau - sont persuadés que l’être humain est perverti par la société, et conçoivent l’éducation comme la suppression de toute « sauvageté ».

La « domestication » (J. C Scott, anthropologue), à l’inverse de sauvageté, a contribué à modifier, à dénaturer la nature, les plantes, les animaux mais aussi les humains. Et ce serait cette « domestication » qui empêcherait l’homme contemporain de bouleverser ses habitudes pour changer son rapport destructeur à la nature : « le processus de civilisation instaure des contraintes, normalise, institutionnalise, ritualise, via l’école, le travail, les médias, la consommation, le tourisme » (Paquot, 2021). Les auteurs précédemment cités défendent l’idée que les citadins doivent se mettre à l’école de la nature, apprendre à la connaître, la respecter, l’admirer. Cela permettrait à l’être humain de reconnecter avec elle mais surtout de dépasser la vision de la « nature dangereuse » qui encourage justement les pouvoirs publics à trop encadrer les espaces naturels afin de rassurer la population : « il est grand temps d’exalter l’esprit des villes, même petites, qui entremêle l’urbanité, la diversité et l’altérité et accueille le vivant comme un ami » (Paquot, 2021).

Cela pourrait passer, d’après T. Paquot, par un processus interne à l’individu qui se retranscrirait dans ses pratiques, le citadin devenant voyageur de sa propre ville. Cela limiterait aussi les ‘pulsions’ de tourisme polluant guidées par une envie d’aller loin de son lieu d’habitation qui représente le quotidien, d’utiliser des moyens de transports très polluants, de consommer la nature en posture de touriste qui voyage de façon ‘efficace’. Mais, comment développer une posture de voyageur au sein de sa propre ville ?

BESOIN DE NATURE : ENTRE ÉCOLOGISATION DES MENTALITES ET LEGITIMATION DES USAGES

Les auteurs Sarah-Jane Krieger, Valérie Deldrève et Nathalie Lewis (2017) ont étudié la relation entre les usages récréatifs de nature et la vision du vivant. Elles analysent les relations à la nature qui s’y tissent dans un contexte d’écologisation et montrent que l’envie de sauvage de la part des individus est influencée par des appartenances culturelles et sociales. Elles partent du postulat que l’usage récréatif est un medium de la relation à la nature et sert de support, de véhicule, d’intermédiaire aux éléments de connaissances.

Par quels éléments notre vision de la nature, et même du sauvage, est-elle influencée ? A quelles pratiques mènent-elles ? Quelles conceptions de la nature l’expérience récréative de la nature véhicule-t-elle ? La protection de la wilderness, a donné naissance à la fin du XIXème siècle à une première forme d’écologisation, qui peut être définie comme une prise en compte de l’environnement par une société dans sa dynamique de développement. De nos jours, l’écologisation des sociétés occidentales, qui se massifie et se diversifie (Kalaora, 2001), a accentué la pratique des loisirs et sports de nature, selon certains auteurs (Mounet, 2007). Les activités dans la nature prennent donc de nouveaux sens (travaux menés en écologie du sport) : recherche de la nature pour améliorer sa qualité de vie, fusionner avec les éléments naturels, (re)découvrir leur nature intérieure…

D’après leurs travaux, les auteurs concluent que l’écologisation de la société mènent vers plus de pratiques récréatives dans la nature, et, qu’en retour, des pratiques récréatives dans la nature mènent vers davantage de considération pour les enjeux environnementaux. Cela passe par un processus qui touche aux imaginaires. Bien que conscients que la nature est fréquentée et connue par d’autres, voire qu’eux-mêmes la fréquentent régulièrement, les individus développent un imaginaire qui l’ensauvage : celle de l’inattendu en des lieux connus, l’effet de surprise amplifiant le plaisir. Cependant, il faut insister sur le fait que le registre le plus mobilisé pour commenter l’environnement dans leurs entretiens est l’esthétique. Le sens le plus sollicité est la vue, pour admirer les paysages, les couleurs et les lumières comme les levers ou les couchers de soleil pour reprendre cet exemple. Cela mène parfois à une gestion de la nature guidée par des gouts esthétiques, qui peut rentrer en contradiction avec le bon fonctionnement des écosystèmes (par exemple implanter des espèces d’arbres exotiques).

Faut-il dé domestiquer la nature pour passer simultanément à des pratiques qui influenceraient positivement notre vision du vivant ? Pour T. Paquot, l'être humain s'est auto domestiqué de la même façon qu'il a domestiqué la nature, les plantes ou les animaux. Il a donc domestiqué son regard au sens où il s’est habitué à apprécier une certaine nature. L’idée de sensibilisation défendue par Boris Presseq (botaniste au Museum d’Histoire naturelle de Toulouse) lors de ses balades botaniques, répond justement à ce besoin de nourrir une perception de l’environnement en accord avec les besoins du vivant. Le moyen qu’il utilise est l’éducation du regard des individus. Le processus laissant la nature ‘reprendre ses droits’ est performatif chez les individus qui s’habituent à ce (non) traitement du milieu naturel. Cela peut se traduire par une diminution de la domestication des espaces naturels (comme tondre moins ras la pelouse, les herbes sauvages le long des trottoirs), et cette « gestion différenciée » habituerait en effet le regard à un esthétique différent.

Cependant, c’est important de passer par une sensibilisation cohérente car une diminution de la domestication répond parfois à une envie de plus en plus forte chez les individus de retrouver le sauvage par une certaine pratique. Or certains usages de la nature, malgré une envie originelle de sauvage, peut porter atteinte au vivant. Pour prendre un exemple précis, certains individus apprécient le kayak pour profiter des cours d’eau, mais cette pratique demande un aménagement particulier qui peut nuire au berges (club de kayak avec un ponton). Donc, l’envie de ‘sauvage’ répond surtout à des imaginaires influencés par des appartenances sociales, des médias culturels, des pratiques et paradoxalement peuvent mener à une domestication plus importante de la nature !

En effet, il existe différentes visions de la nature en fonction de nos connaissances qui influencent nos imaginaires et nos goûts. Les discours moraux et scientifiques sur la nécessité de protéger la nature justifient la définition de normes et d’enjeux qualifiés d’environnementaux. Il est important de préciser que, face à l’incertitude scientifique, certains écologues ou écologistes portent la focale sur des problèmes précis (plutôt que d’autres) et la nature n’est jamais vue de façon objective, mais selon les préoccupations de l’observateur, c’est pourquoi J.-P. Bozonnet et B. Fischesser (1985) parlent d’ « idéologie de la nature ». D’où l’idée de prendre la nature comme un système d’interdépendance, et ne pas trop se focaliser sur un seul aspect de la crise environnementale, par exemple, l’effondrement de la biodiversité… La façon de poser les enjeux environnementaux globaux est donc fonction de regards disciplinaires et sectoriels différenciés. Et justement, les normes et enjeux délimités par les pouvoirs publics vont parfois à l’encontre de la vision du « sauvage » des individus, qui se traduisent par certaines pratiques qui varient selon les individus.

Certains publics vont être « retenus » et leurs pratiques vont être légitimées par l’action publique. Par exemple, les sports motorisés seront interdits sur les lacs alors que la marche à pied sera mise en avant par des sentiers, des balises etc.

Mais les auteurs ont montré que cela dessert parfois certains groupes sociaux. Premièrement, le problème de l’inclusivité est évident : une nature très peu aménagée est plus difficile d’accès. Les individus voulant davantage de nature sauvage mettent d’ailleurs l’accent sur la compétence et le mérite comme conditions d’accès. Les auteurs citent un charpentier : « je respecte les handicapés, tous, toutes les personnes qui ont de la misère à se déplacer, mais on peut se garder des petits coins où il n’y en aura pas de rampe handicapée ? Où l’on peut avoir encore le sentiment que c’est sauvage ? »( Krieger, Deldrève & Lewis, 2017). Puis, les analyses sociologiques des années 1980 montrent que les usages des espaces naturels sont culturels, fonction de l’appartenance à des catégories sociales (Kalaora, Larrère, 1986) : le rapport à la nature comme expérience individuelle, corporelle, sensorielle, voire spirituelle, centré sur le soi ou l’entre soi, est socialement déterminé (Deldrève, Krieger, 2015).

Ils s’appuient sur l’exemple de l’interdiction des feux de camps et de la chasse dans les parcs au Canada pour montrer que le rapport a la nature des populations locales et populaires est délégitimé, ainsi que leur mode de sociabilité, par la mise en place de normes au sein des espaces naturels (Mounet, 2007). S. Krieger, V. Deldrève et N. Lewis insistent sur la réaction de certains anciens venant de milieux populaires ayant le sentiment que le parc mis en place les a « dépossédés de leur territoire », ils préfèrent le « rejeter « en bloc », avec ses normes et ses enjeux »( Krieger, Deldrève & Lewis, 2017). Autre exemple, en Guadeloupe, la cueillette et les jardins créoles, qui pourtant regorgent de biodiversité, ont été interdits, desservant la population locale plus populaire. Cette problématique d’imposer une vision de l’écologie sans prendre en compte les usages des populations locales et par l’infantilisation, fait écho aux débats en Amérique du Nord sur la wilderness et le déplacement des populations autochtones…

En réponse aux préconisations des gestionnaires d’espaces de nature, certains usagers développent des techniques pour imposer une vision de la nature légitime à leurs yeux. La multiplicité des contraintes physiques de protection de la nature (comme des barrières) entrainent une certaine « réactance », définit en psychologie sociale comme un mécanisme de défense psychologique mis en œuvre par un individu qui tente de maintenir sa liberté d'action qu’elle semble menacée. Face à une violence symbolique, issue de l’autorité publique, les individus veulent défier les normes, les aménagements, toujours guidés par cette envie de nature sauvage et certains imaginaires qui s’en suivent. D’où la préconisation de ne pas trop aménager les espaces naturels et permettre aux individus de créer leur propre chemin dans les espaces naturels.

Donc, où mettre le curseur normatif, permettant à la fois des usages variés et un respect de l’environnement ? L’aménagement a un rôle crucial à jouer.

A QUEL POINT AMENAGER ?

Premièrement, il est important souligner que la vision de wilderness a été critiquée par l’aménagement qu’elle a permis car, en Amérique du Nord dans les années 90, mettre la ‘nature sous cloche’ et certains espaces hors de la portée des êtres humains a été le garant d’un fort aménagement dans d’autres espaces, ne respectant absolument pas le vivant.

Puis, il a été défendu précédemment que la quête du sauvage peut mener, paradoxalement, à une forte domestication de la nature. Alors que l’usager récréatif multiplie les pratiques pour se rapprocher de la nature, sa quête de sauvage est bien souvent traduite par les gestionnaires en termes d’aménagement des espaces naturels, voire de réglementation, où les chemins sont balisés et les loisirs surveillés au nom des enjeux environnementaux identifiés. Il est donc important de s’intéresser au degré d’aménagement car, selon le sociologue J.M Le Bot (2013), « le rapport à la nature est vécu différemment selon l’usage et selon l’équipement technique qui influence les sensations » (Le Bot, 2013). L’aménagement joue un rôle crucial car il contrôle indirectement les usages des individus en dédiant certains espaces à une pratique en particulier. Pour certains usages récréatifs, l’aménagement autorise l’accès à la nature, pour d’autres, il le limite voire l’interdit. Par exemple, la création de pistes cavalières à la Pointe du Médoc par l’Office national des forêts est critiquée par des personnes interrogées par les chercheurs (Krieger, Deldrève, Lewis,2017). L’existence de ces sentiers contraint les cavaliers à les emprunter et donc, indirectement, leur interdira d’autres voies. Selon une cavalière : « s’il y a des pistes qui sont mises en place, ça veut dire qu’on n’a plus accès à tout le reste de la forêt ».

Face aux enjeux d’ensauvagement et de domestication de la nature, T. Paquot prônent des lieux non aménagés, qui permettent l’aventure : où « connaître ce nouveau milieu qui exige du temps et surtout de l’attention pour se révéler ». Pour lui, l’ensauvagement passerait par une harmonisation des territorialités et des temporalités de notre existence. On retrouve ce concept chez Paul Virillo qui souligne l’importance de renouer avec nos rythmes, et à un espace-temps humain face au « drame de la vitesse » (Virillo, 2021). Cet architecte et penseur, qui parlait déjà de droit à la cité, est très critique de la vitesse et de la dématérialisation car, pour lui, l’espace crée le lien.

Puis, T. Paquot insiste sur cette nécessité d’aménagement minimaliste pour un public particulier : les enfants, pour qui l’ensauvagement passerait par l’expérimentation, l’imitation, le jeu, toujours à leurs rythmes. L’enjeu serait de combiner territorialité et temporalité : Bachelar et Lefebre démontrent que la « topoanalyse » et la « rythmanalyse » faites par les êtres humains sont extrêmement liées. En passant par l’exercice d’« autobiographie environnementale » où les personnes interrogées repèrent des territoires de leur géographie affective et les replacent dans une temporalité, l’enfance serait un pays et non qu’un moment de notre vie. Ces auteurs en viennent à la conclusion que la nature mêle du temps et du territoire. Donc, il ne faudrait pas ‘domestiquer’ davantage l’espace naturel en l’aménageant, mais laisser des territoires d’expérimentation, de jeu, de liberté : « d’où l’importance du jardinage, de la forêt, des activités de plein air, des parcours sans adulte ou des terrains d’aventures » (Paquot, 2022).

Donc l’aménagement joue un rôle crucial car il contrôle les usages des individus mais contraint aussi le rapport à l’espace/temps des individus des espaces aménagés ! Les philosophes précédemment cités soulignent la nécessité de nos rythmes, tensions et instants à leurs localisations par des espaces peu aménagés et de permettre aux enfants - ainsi qu’aux grands enfants ! - d’explorer leur sens.

Face aux besoins des usagers, qui n’impliquent pas forcément aucun aménagement mais qu’il soit minimaliste, et serve aussi les intérêts de la nature, qu’en est-il du vivant ? La nature riche en biodiversité est-elle une nature sans hommes ou une nature sans aménagement contraignant ? Ou les deux ?

De nombreuses critiques sont faites aux opérations d’aménagements où les arbres subissent régulièrement des maltraitances, et servent trop souvent à valoriser des projets architecturaux toujours plus spectaculaires (C. Mollie, L. Le Chatelier). Selon certains botanistes, une présence mesurée de l’homme n’est pas dérangeante, ce sont surtout les gros aménagements, selon B. Presseq, les immeubles qui cassent les lignes vertes et bleues, ou encore les grillages et les barrières qui empêchent le déplacement des espèces et nuit au vivant. Il est donc nécessaire de réfléchir à une meilleure articulation entre présence de l’homme, degré de fréquentation des espaces et aménagement impactant le moins possible le vivant.

Puis, certains espaces en ville doivent servir de « réserves » à biodiversité. Selon le classement zone "Natura 2000" (outil de la politique européenne de préservation de la biodiversité), il faut des zones très sauvages en ville. Par exemple la Petite Amazonie à Nantes, n’est pratiquement pas touchée par l’homme parce qu’il faut « se joindre aux sorties organisées par la Ligue de protection des oiseaux et le service des espaces verts de la ville ». La nature y a repris ses droits dans une terre oubliée, une dent creuse de la ville, où une certaine bio diversité a pu s’y développer parce que l’être humaine est peu présent. Les aménagements ont un rôle à jouer ici car, sans aucune entrée, aucun chemin, les espaces non aménagés attirent beaucoup moins la présence humaine. Mais un débat se pose concernant la taille que devrait recouvrir ces espaces complétement sauvages.

Concernant l’aménagement, plusieurs penseurs prônent la « frugalité ». Philippe Madec, qui a rédigé Manifeste pour une frugalité heureuse et créative, rappelle que secteur du bâtiment est responsable de 40% des émissions de gaz à effet de serre (étude de 2019), ayant engrangé mouvement international qui regroupe aujourd’hui 14 000 signataires et 5 300 architectes. Leur objectif : se servir des apports naturels (vent, eau, lumière, sol, topographie etc) pour réduire l’impact du secteur de la construction. Ces architectes bioclimatiques trouvent dans l’environnement le plus proche du futur aménagement tout ce qui va permettre la conception puis la vie, dont la nutrition, des personnes qui vont habiter les futurs bâtiments. L’idée est de faire avec le « déjà la » et avec moins d’électricité, moins de chauffage, de dépendance au numérique.

Par exemple, au bord de l’Eure (Val de Rueil) le chauffage a été réfléchi selon les apports naturels par P. Madec dans des logements sociaux, et permet aux habitants de vivre sans allumer le chauffage. Autre exemple, à Bordeaux, un logement collectif a été conçu sans système de ventilation mécanique, malgré les normes très contraignantes concernant ce sujet.

Dans les espaces naturels ont développées les techniques du « laisser-faire » (Larrère, 2016). Les philosophes et agronomes Christine et Raphael Larrere mettent en avant leur rejet de l’optimisme technologique, « car la crise environnementale requiert que nous maîtrisions moralement notre puissance technique » (Larrère, 2015), mais défendent l’idée de s’inspirer de processus naturels pour assurer la résilience des écosystèmes, notamment par l’« écomimétisme ». Cette réflexion philosophique fait écho au projet MorphobioT à Toulouse, qui s’inspire du vivant en prônant une articulation entre les formes architecturales, urbaines et végétale et la biodiversité en ville.

Conclusion :

Un paradoxe se pose entre une demande de plus en plus forte des individus de satisfaire leur besoin de ‘nature sauvage’ et les réels besoins du vivant. La fonction de protection serait un nouvel élément structurant du territoire et de son aménagement, fondée sur une définition contemporaine de la nature, où elle serait appréhendée de manière systémique, à travers les notions de biodiversité ou encore d’écosystème. Les nouveaux mots d’ordre de nos contemporains seraient alors la sauvegarde, la restauration et la préservation de la nature, exigeant une réinvention de l’aménagement, basé sur la reconquête des droits de la nature partout où ils ont été spoliés par des équipements et activités humaines. Quelle place donner au sauvage ?

Il a été mis en lumière que l’écologisation de la société augmente les pratiques récréatives dans la nature et, en retour, l’expérience récréative de la nature peut participer à l’écologisation des individus. Par exemple, certains usagers ont pris position contre l’autorisation des pratiques motorisées donc se sont engagés dans une certaine lutte de préservation de l’environnement.

Cependant, selon certains chercheurs, la « sauvageté » reste un symbole dont on a nécessairement besoin pour satisfaire son inconscient, plus qu’une réalité, Les individus chercheraient en vérité une nature « agréable et confortable » expliquait Kalaora (1998), tant que la pratique « déplace le regard humain vers des horizons différents du quotidien et de l’urbanité ». En réponse à cela, il a été démontré que, pour permettre des pratiques respectueuses de l’environnement, il est déconseillé de jouer uniquement sur le côté esthétique et symbolique du sauvage, et conseillé de permettre à plusieurs sens chez l’être humain de se réveiller (« plurisensoriel » selon T. Paquot) pour pouvoir l’intégrer à la nature. Comme le prônait déjà les auteurs de la wilderness, l’école de la nature permettrait de dépasser la vision d’une nature dangereuse et renforcerait le sentiment d’être un voyageur suivant son propre rythme au sein des espaces, et donc possiblement de sa propre ville.

Par ailleurs, les botanistes mettent en avant la performativité de la (non) domestication des espaces naturels sur la représentation du vivant chez les individus, d’où l’idée de passer un message en éduquant le regard et ne pas envoyer l’image du paysage touristique, défini par la beauté, l’originalité et la démesure (Depraz, 2008).

Puis, derrière la nécessité du « ré ensauvagement » à la fois des espaces naturels et de l’individu prônée par certains penseurs, se cachent des processus de légitimation auxquels il faut faire attention lors de la gestion des espaces naturels. Parfois, la quête du sauvage engendre paradoxalement une demande de gestion et d’aménagement des sites de nature, qui par la suite entraine une redéfinition (comme l’abandon des sports motorisés) voire un contrôle social des usages. Certains aménagements visant des pratiques en particulier peuvent aussi mener à une résistance des usagers qui développent des stratégies qui desservent l’objectif initial de réduire l’impact de l’être humain sur le vivant.

Certaines questions méritent donc d’être posées : à quel point les gestionnaires des espaces naturels et aménageurs sont-ils légitimes de redéfinir les pratiques des usagers ? Par quelle vision, imaginaires de la nature et du sauvage sont-ils inspirés ? A quel point les normes de préservation et les aménagements des espaces naturels, qui régulent les usages, jouent-ils favorablement (pour la nature) sur les représentations des êtres humains ? Comment envoyer un message de respect du vivant sans trop imposer de normes aux usagers ?

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

>Sarah-Jane Krieger, Valérie Deldrève & Nathalie Lewis (2017) Écologisation des loisirs de nature, entre ensauvagement et domestication, Loisir et Société https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/07053436.2017.1282039?needAccess=true

>Conférence (Arte) de P. Descola, https://www.youtube.com/watch?v=UD1vw-d8ZJ0&ab_channel=ARTE

>Conférence de T. Paquot https://www.youtube.com/watch?v=RMtrvNlKw3c&ab_channel=Fonjep >Le Bot Jean-Michel, « L'expérience subjective de la « nature » : réflexions méthodologiques », Natures Sciences Sociétés, 2013

>Cécile Bes (anthropologue) , Le rapport autochtone à la Terre, symbiose et partage, 2011 https://www.sol-asso.fr/wp-content/uploads/2011/02/Le-rapport-autochtone-a-la-Terre-symbiose-et-partage-janvier-2011.pdf

>Podcast, Avoir raison avec Paul Virilio, France Culture, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-avoir-raison-avec-paul-virilio

> Larrère Catherine, Larrère Raphaël, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique. La Découverte, « Sciences humaines », 2015, https://www.cairn.info/penser-et-agir-avec-la-nature--9782707185716.htm > Paquot Thierry,interview La lettre du cadre

>Philippe Madec, entretien Green Letter Club, https://www.youtube.com/watch?v=xWV3t4MXHCU&ab_channel=GreenletterClub > MorphobioT, https://lra.toulouse.archi.fr/lra/activites/projets/MorphobioT